Médiations aquatiques

 

 

 

LA SYMBOLIQUE DE L'EAU : Mythes, contes et récits - Citations et proverbes - Poésies - Chansons

 

Ophélie, la jeune femme qui flotte entre deux eaux

 Everett Millais, La Mort d'OphélieOphélie est figure récurrente de l'iconographie romantique. Elle est à la base un personnage fictionnel de la tragédie Hamlet de William Shakespeare.

Dans cette histoire, Ophélie est la fille de Polonius, chambellan de chambre à la cour du roi Claudius. Elle partage avec le jeune prince Hamlet une idylle amoureuse passionnée. Mais leur mariage est interdit puisqu'ils n'appartiennent pas à la même classe sociale.

Un jour que le chambellan du roi l'espionnait derrière une tapisserie, Hamlet le tue malencontreusement. Ophélie traumatisée par le fait que son propre amant soit le meurtrier de son père se rend responsable de sa perte. Inconsolable, elle se noiera dans un ruisseau.

Son destin tragique a inspiré de très nombreux artistes. Elle est considérée comme un être pur et sensible, une créature magnifique donnée à la nature.

Selon Gaston Bachelard, certains éléments sont indissociablement liés, dans l'imaginaire, au mythe d'Ophélie : le clair de lune, les fleurs, sa chevelure et sa robe étalées autour d'elle, flottante sur l'onde, paisible, plus endormie que morte.

Ophélie a été représentée par de nombreux artistes : Auguste Préault, Odilon Redon et les symbolistes, mais aussi des peintres de la fin du XIXème siècle inspirés par les préraphaélites, comme Ernest Hébert ou Adolphe Dagnan-Bouveret.

Source : www.du9.org


 

OPHÉLIE


Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…
— On entend dans les bois lointains des hallalis.

Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.

Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux ;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s’inclinent les roseaux.

Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle ;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d’où s’échappe un petit frisson d’aile :
— Un chant mystérieux tombe des astres d’or.


Ô pâle Ophélia ! belle comme la neige !
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté !
— C’est que les vents tombant des grands monts de Norwège
T’avaient parlé tout bas de l’âpre liberté ;

C’est qu’un souffle, tordant ta grande chevelure,
À ton esprit rêveur portait d’étranges bruits ;
Que ton cœur écoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits

C’est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton sein d’enfant, trop humain et trop doux ;
C’est qu’un matin d’avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s’assit muet à tes genoux !

Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
— Et l’infini terrible effara ton œil bleu !

— Et le poète dit qu’aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis,
Et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.

15 mai 1870
Arthur RIMBAUD, Poésies, Mercure de France
(poète français, 1854-1891)


 

LE LAC

Au printemps de mes ans je reçus le partage
De hanter ici-bas un lieu du vaste monde
Que je ne pouvais pas moins aimer que mon âge —
Tant séduisante était la tristesse profonde
D’un lac sombre, encerclé de rochers ténébreux
Et de grands pins, comme des tours jusques aux cieux.

Mais quand la Nuit avait jeté sa lourde cape
Sur ces régions sans étapes,
Lorsque passait le vent mystique
Murmurant sa douce musique —
Alors — alors j’entrouvrais ma paupière
Sur la terreur de ce lac solitaire.

Car cette horreur n’était point de la peur,
Mais bien délices lumineuses —
Le sentiment dont une mine précieuse
Ne pourrait enseigner ou séduire mon cœur —
Ni l’Amour — quand l’Amour serait le tien, ma sœur.

La Mort veillait au fond de l’onde empoisonnée.
Et dans son gouffre un sépulcre béant
Attendait qui viendrait, volonté forcenée
S’y consoler de pensers solitaires —
Cet exilé dont l’âme oserait faire
Un Eden de ce lac troublant.

Edgar Allan POE, Poèmes, Mercure de France
(poète américain, 1809-1849)

 


<<< Retour

 
Les médiations aquatiques, un ailleurs de soi - Anne Luigi-Duggan